Série du Siècle: Paul Henderson revient sur le huitième match 50 ans plus tard

MONTRÉAL — Paul Henderson a marqué l’un des buts les plus importants de l’histoire du hockey il y aura 50 ans mercredi, le but qui a aidé le Canada à vaincre l’Union soviétique dans le match no 8 pour remporter la Série du Siècle.

Après une victoire, deux défaites et une nulle au pays, le Canada s’est incliné dans le premier match disputé à Moscou.

Afin de pouvoir se targuer d’être la meilleure nation de hockey de la planète, le Canada devait remporter trois victoires contre un adversaire que sa formation, constituée de joueurs établis de la Ligue nationale de hockey, avait largement sous-estimé. Henderson a marqué les buts gagnants des matchs nos 6 et 7, avant de récidiver de façon spectaculaire avec 34 secondes à jouer dans le dernier duel.

L’ex-hockeyeur de 79 ans s’est entretenu avec La Presse Canadienne à la veille de cet anniversaire. L’interview a été éditée afin d’en réduire la longueur et par souci de clarté.

Q: Si vous revenez 50 ans en arrière, qu’est-ce qui est le plus frappant au sujet de ce but?

R: «Je me souviens avoir dit à ma femme après notre première défaite à Moscou: ‘Si nous ne gagnons pas les trois derniers, nous deviendrons les plus grands perdants de l’histoire du hockey canadien’. Maintenant, nous sommes possiblement l’équipe du dernier siècle. Les Canadiens, nous ne sommes pas les meilleurs pour célébrer. Alors c’est très satisfaisant.»

Q: Que vous rappelez-vous de ce qui se passait avant le match no 8?

R: «Ma femme dit ne jamais m’avoir vu aussi intense. J’imagine que je n’étais pas très agréable, mais j’étais seulement très concentré: nous devions gagner ce match. CE qui est intéressant, c’est que lorsque ce but a été marqué, notre trio ne s’était retrouvé sur la glace que pour 10 secondes seulement. Quand nous sommes revenus au banc, (l’entraîneur-chef) Harry Sinden nous a dit, à Ron Ellis, Bobby Clarke et moi: ‘Ok les gars, terminez-moi ce match’. Je lui ai répondu: ‘Harry, je suis à bout’. J’aurais été pétrifié de jouer les 34 dernières secondes. Mentalement, je n’avais plus de jus. je ne pouvais plus jouer. Ça m’a probablement pris 25 minutes avant d’enlever mes patins. Nous avons bu quelques bières. Nous étions abasourdis d’avoir réussi.»

Q: Vous avez raconté ce but des milliers de fois, mais quel détail vous frappe encore?

R: «Notre trio était sur la patinoire et nous en sommes sortis avec environ 90 secondes à faire. Harry Sinden a envoyé Phil Esposito, Yvan Cournoyer et Peter Mahovlich. Puis, Sinden s’est approché de nous pour nous dire que s’il restait du temps, nous allions retourner sur la patinoire. Ça m’a surpris. Nous avions un autre trio constitué de gars qui s’en allaient au Temple de la renommée qui devait suivre dans la rotation. Les Russes nous avaient dit que si le match se terminait sur un verdict nul, ils allaient prétendre qu’ils avaient gagné la série puisqu’ils auraient alors marqué un but de plus. Je me suis levé et me suis dit: ‘Je dois retourner sur la glace’. J’ai commencé à crier vers Peter. Frank Mahovlich était assis à côté de moi et me demandait ce que je faisais. Je ne lui ai pas prêté attention et j’ai continué à crier. Heureusement, (Peter Mahovlich) est sorti. Je n’avais jamais fait ça avant et je ne l’ai jamais refait après. Je ne suis pas certain qu’aucun joueur ait déjà fait ça.»

Q: Qu’est-ce qui vous a fait vous lever pour crier vers les joueurs sur la glace?

R: «Peut-être parce que j’avais inscrit les buts gagnants des deux matchs précédents. Mais pouvez-vous imaginer le risque que j’ai pris? Imaginez que je saute par-dessus la bande et que les Russes en profite pour marquer et que nous perdions la série. Je parlerais à des reporters en Sibérie aujourd’hui. Je ne peux l’expliquer.»

Q: Le Canada s’est mis à célébrer quand la sirène a retenti. Comment c’était au sein de l’équipe?

R: «Un soulagement total. Nous ne sautions pas partout en train de nous asperger de champagne. Nous étions assis dans le vestiaire, à nous regarder tout un chacun. Tout le monde était au bout du rouleau, complètement vidé.»

Q: Que vous rappelez-vous de ce groupe de joueurs de la LNH?

R: «Nous sommes devenus une équipe à la fin. J’étais vraiment désolé pour certains des futurs membres du Temple de la renommée. Ils n’ont pas pu trouver les bonnes combinaisons. Nous savions que Paul Ellis (mon coéquipier des Maple Leafs) et moi allions jouer ensemble. On se demandait seulement qui allait être notre joueur de centre. Bobby Clarke jouait beaucoup comme (notre coéquipier des Leafs) Norm Ullman. Nous étions très consciencieux de notre jeu en défense. Nous pensions pouvoir être le trio pour contrer l’attaque adverse. C’est exactement ce qui s’est passé, parce que Ronnie jouait contre (Valeri) Kharlamov la plupart du temps. Et j’ai été un peu chanceux en raison de ma vitesse. J’ai marqué sept buts. Sans Bobby Clarke, je n’aurais jamais connu la série que j’ai connu.»

Q: Quel était le sentiment général avant la série?

R: «Les Russes n’arrêtaient de gagner les Olympiques, auxquels les joueurs de la LNH ne pouvaient pas participer. Ça nous achalait; on se disait: ‘Venez affronter des vrais’. Nous comptions sur 12 futurs membres du Temple: selon moi, si nos gardiens connaissaient un match horrible et que leur gardien connaissait un excellent match, ils pourraient peut-être obtenir une nulle, à la limite gagner un match. Mais jamais qu’ils n’allaient passer proche de gagner cette série. Nous n’avions aucune faiblesse. Malheureusement, nous les avons complètement sous-estimés. Nous l’avons tous fait. Et puis nous nous transportons chez eux, où ils gagnent le premier match et croient qu’ils ne peuvent plus perdre. C’est là qu’ils ont sous-estimé notre désir de gagner.»

Q: Que vous souvenez-vous de ce qui se passait alors au Canada?

R: « Tout le pays a regardé ce match, d’un océan à l’autre, absolument tout le monde au pays. J’ai reçu une lettre d’un type une fois la série terminée qui disait: ‘Paul, j’étais un britannique habitant la Nouvelle-Écosse. Quand vous avez marqué ce but, je suis devenu Canadien’.»

Q: Sentiez-vous que vous viviez un moment historique?

R: «Nous jouions au hockey. Je savais que c’était un gros but, et il ne m’a jamais quitté. Les gens viennent me voir pour me dire que je devrais être au Temple de la renommée. Je leur réponds tous que c’est la pire chose que je pourrais faire. Si je suis admis au Temple de la renommée, personne ne sera plus offusqué de mon absence et tout le monde m’oublierait.»

Q: Comment votre vie a-t-elle changé?

R: «C’était ridicule. Je me dirigeais vers un aréna trois jours après mon retour à la maison, quand j’ai dû m’arrêter à un feu rouge. Le conducteur de la voiture à mes côtés me voit et me reconnaît. Il débarque et me dit qu’il doit absolument avoir mon autographe. Nous bloquions deux voies et les conducteurs derrière klaxonnaient! Le gars crie alors: ‘Taisez-vous! C’est Paul Henderson!’. Le gars de derrière est alors sorti pour venir cherche une autographe. C’était bizarre.»

Q: Est-ce que ça vous surprend qu’on en parle toujours un demi-siècle plus tard?

R: «Personne au sein de cette équipe aurait cru qu’on célébrerait encore cette série 50 ans plus tard. Nous n’avions aucune idée de l’ampleur que ça allait prendre.»