Zexi Li, qui avait obtenu une injonction contre le «convoi», témoigne au procès

OTTAWA — La femme qui s’est adressée au tribunal pour obtenir une injonction contre le «convoi de la liberté» l’année dernière a confronté les organisateurs de la manifestation devant la cour pénale, lundi, dans l’un des interrogatoires les plus combatifs que le procès a vus jusqu’à présent.

Zexi Li a témoigné lundi matin au procès criminel de Tamara Lich et Chris Barber, accusés notamment de méfait et d’avoir conseillé à d’autres de commettre des méfaits.

La salle d’audience était inhabituellement bondée lorsque Mme Li est venue à la barre, lundi. Elle a gardé son sang-froid à la barre des témoins pendant le contre-interrogatoire.

Au début de son témoignage, les avocats de la défense ont contesté l’utilisation par Mme Li du mot «occupation» pour décrire la manifestation, au cours de laquelle de gros camions et d’importantes foules ont bloqué les rues du centre-ville d’Ottawa pendant des semaines.

«Je m’oppose à l’utilisation continue du mot «occupation», a déclaré l’avocate de Chris Barber, Diane Magas. C’est très irritant pour mes oreilles». 

Mme Magas a déclaré que le mot étaitincendiaire, notamment parce que la témoin est «assez investie» dans cette cause.

Mme Li est la représentante dans la demande d’intenter une action collective de 290 millions $ contre les organisateurs du convoi, au nom des résidents, des travailleurs et des propriétaires de commerces du centre-ville d’Ottawa. La requête allègue que les résidents du centre-ville ont subi des préjudices lorsque des milliers de manifestants ont envahi pendant trois semaines les rues d’Ottawa avec des camions.

Mme Lich et M.  Barber sont tous deux accusés dans cette demande d’action collective. 

La juge Heather Perkins-McVey a indiqué à Mme Li qu’elle préférerait qu’elle utilise les mots «protestation» ou «manifestation». Mais elle a ajouté que ce que dit la témoin «dépend d’elle».

Comme plusieurs autres témoins appelés à la barre par la poursuite dans ce procès, Mme Li a décrit lundi le bruit excessif que faisaient les poids lourds qui klaxonnaient «pendant la majeure partie de la journée, voire toute la journée».

«C’était difficile à vivre en tant qu’être humain», a-t-elle raconté.

Au cours de la deuxième semaine de manifestations à Ottawa, Mme Li s’était adressée au tribunal pour obtenir, avec succès, une injonction contre le bruit constant des klaxons. Elle a admis lundi que ce bruit était devenu moins incessant par la suite, mais qu’elle avait entendu encore parfois des plages de «klaxons collectifs», où il semblait que tous les klaxons hurlaient de concert pendant un certain temps.

La Couronne entend prouver que Mme Lich et M. Barber avaient une influence sur les foules.

Failles dans la crédibilité 

En contre-interrogatoire, Mme Li a déclaré qu’elle pouvait uniquement se souvenir de la date d’un exemple spécifique de «klaxons collectifs», le 7 février 2022. Elle ne pouvait pas dire combien de temps les klaxons ont duré.

Mme Li a indiqué au tribunal qu’au cours de la troisième semaine de manifestations, elle était allée se promener dans les rues pour enregistrer la preuve que l’injonction du tribunal n’était pas respectée. 

Elle a aussi pris une photo d’un camion transportant des bidons de carburant qui était partiellement garé sur le trottoir. La témoin a soutenu au procès que le chauffeur «avait reculé le camion» vers elle, alors que les manifestants autour klaxonnaient et lui criaient dessus. Elle a appelé la police qui a fait un rapport d’incident, mais n’a pris aucune autre mesure. Elle n’a pas pu donner la date exacte de l’incident au tribunal.

Lors de son contre-interrogatoire, l’avocat de Mme Lich, Lawrence Greenspon, a exploré les failles potentielles dans la crédibilité de Mme Li, en comparant ses réponses au tribunal à son témoignage devant une enquête fédérale sur l’utilisation par le gouvernement de la Loi sur les mesures d’urgence, l’année dernière.

«Il y a un certain nombre de domaines dans lesquels elle a toujours dit des choses et n’a jamais vraiment été contestée», a affirmé M. Greenspon à l’extérieur du tribunal, lundi.

«Je pense que nous pouvons tous regarder le genre de contre-interrogatoire qui a eu lieu devant la Commission sur l’état d’urgence, et cela n’est rien en comparaison à ce à quoi elle a été confrontée aujourd’hui.»

Par exemple, lors de l’enquête fédérale, Mme Li a déclaré qu’elle se souvenait que la police était venue dans son immeuble pour s’enquérir des résidents qui jetaient des œufs sur les manifestants. Lundi, elle a soutenu n’avoir entendu parler des enquêtes de police que sur la page Facebook de son immeuble.

M. Greenspon a également demandé si elle se souvenait d’avoir insulté les manifestants lors de la confrontation impliquant le camion et les bidons de carburant.

Elle a confirmé qu’elle l’avait fait, mais M. Greenspon a montré au tribunal une transcription de son témoignage sous serment l’année dernière lorsqu’elle a déclaré : «J’ai peut-être dit cela».

Il a également remis en question les précédentes actions en justice de Mme Li.

Intimidation 

Dans sa décision d’accorder l’injonction contre les klaxons, le juge Hugh McLean a statué que la manifestation serait autorisée à se poursuivre tant qu’elle serait légale et pacifique.

L’injonction n’a duré que 10 jours et l’avocat de Mme Li, Paul Champ, a demandé sa prolongation le 16 février.

M. Greenspon a souligné que M. Champ n’avait pas convoqué les manifestants devant le tribunal pour avoir défié l’ordre de rester légal et pacifique. Il n’a pas demandé que l’injonction soit étendue à d’autres aspects de la manifestation. 

L’avocat de la défense a également demandé pourquoi Mme Li avait eu une conversation avec son avocate, Emilie Taman, pendant la pause déjeuner.

Après avoir entendu les ricanements des spectateurs au tribunal, Mme Perkins-McVey a affirmé qu’il était grave de brandir le spectre de la violation du secret professionnel et a menacé d’expulser toute personne qui, selon elle, ne ferait pas preuve du respect qui s’impose. 

Mme Li a déclaré au tribunal qu’elle discutait de ce qu’elle allait faire pour le dîner lorsque M. Greenspon l’a interrompu et a suggéré qu’elle ne devrait pas parler à son avocate.

Elle a été vue en train de quitter la salle d’audience peu de temps après, en larmes.

Son avocat, Paul Champ, avait déclaré la semaine dernière que Mme Li préférait ne pas témoigner, mais qu’elle ferait son devoir de citoyenne si on le lui demandait.

Il soutient que Mme Li a été victime de harcèlement depuis qu’elle s’est adressée au tribunal contre le convoi, puis à nouveau après son témoignage devant la commission d’enquête du juge Paul Rouleau sur le recours par le gouvernement fédéral à la Loi sur les mesures d’urgence.

Elle a bénéficié d’une escorte policière alors qu’elle se trouvait au palais de justice.

Le tribunal a également entendu le témoignage de Paul Jorgenson, un résident d’Ottawa, qui a déclaré que l’entrée de son stationnement était complètement bloquée par des camions. Quelques jours après le début de la manifestation, il a raconté qu’il était monté dans sa voiture et avait sauté un trottoir pour s’échapper du centre-ville.

«Nous avons finalement dû fuir la ville parce que je n’étais pas en mesure de continuer à travailler», a-t-il dit au tribunal, soulignant le bruit «cacophonique» et l’odeur des véhicules au ralenti.

À son retour le 9 février, il a évoqué avoir eu du mal à trouver de la nourriture.

«Nous ne pouvions pas commander de nourriture ni nous procurer de la nourriture à l’épicerie et nous avions épuisé presque toute la nourriture de notre garde-manger», a-t-il déclaré.