Les pompiers ont du mal à faire reconnaître leurs cancers, surtout au Québec

VANCOUVER — Jenn Dawkins se souvient de ce jour de printemps 2016 où elle s’est jointe à quatre autres pompières, à l’Assemblée législative de la Colombie-Britannique, pour faire pression en faveur de l’inclusion du cancer du sein parmi les maladies professionnelles présumées couvertes par la commission de santé et de sécurité du travail de cette province.

Mme Dawkins souhaite maintenant que les autres pompiers du pays soient protégés par des législations qui font du cancer un risque professionnel présumé en raison de l’exposition à des agents cancérigènes connus. Et de toutes les provinces canadiennes, ce sont ses collègues du Québec qui sont les moins bien protégés.

Mme Dawkins pouvait recevoir des indemnités d’accidentée du travail parce qu’un an après sa visite à l’Assemblée législative, la Colombie-Britannique a ajouté le cancer du sein, ainsi que le cancer de la prostate et le myélome multiple, à la liste des cancers présumés qui affectent les pompiers. La Colombie-Britannique a récemment modifié la loi afin d’inclure trois autres types de cancers – des ovaires, du col de l’utérus et du pénis – à une liste qui en compte maintenant 16.

Les cancers qui affectent le système reproducteur s’ajoutent à la liste dans une grande partie du pays, alors que de plus en plus de femmes deviennent pompières. Mais chaque province et territoire a sa propre liste, car il s’agit d’un champ de compétence provinciale.

L’Association internationale des pompiers et l’Association canadienne des chefs de pompiers appuient le récent dépôt, par la députée fédérale québécoise Sherry Romanado, d’un projet de loi d’initiative parlementaire portant sur des normes nationales pour les cancers professionnels liés à la lutte contre les incendies. Le projet de loi indique que la sensibilisation est essentielle pour aider les pompiers à identifier les premiers signes de cancer, et il recommande un dépistage régulier de la maladie.

Chris Ross, président de l’Association des pompiers de Montréal, espère que le projet de loi, qui a recueilli un large soutien politique, poussera le gouvernement du Québec à ajouter plus de cancers présumés à la liste des maladies professionnelles. Le Québec n’a reconnu que l’an dernier le cancer comme un risque professionnel élevé pour les pompiers.

Mais le Québec n’a répertorié que neuf cancers comme étant liés à la lutte contre les incendies, le nombre le plus bas au pays. M. Ross rappelle que son association n’a pas pu convaincre le gouvernement d’ajouter plus de types de cancers, comme la leucémie, le cancer du cerveau et le cancer du sein.

L’association a intenté un recours devant les tribunaux contre la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST), au nom des pompiers diagnostiqués principalement avec des cancers du cerveau, des testicules et de l’œsophage, ainsi que de la leucémie, a déclaré M. Ross. Il soutient que l’association a gagné toutes ses causes, une dizaine jusqu’à présent, devant le Tribunal du travail du Québec, et une douzaine de règlements ont été conclus en dehors de ce processus, a-t-il ajouté.

«Nous avons décidé il y a environ huit ans qu’on poursuivrait pour chaque cancer reconnu» dans d’autres provinces, a-t-il déclaré, ajoutant que les preuves scientifiques issues de multiples études liées au cancer chez les pompiers avaient ouvert la voie à des victoires devant les tribunaux.

Le Québec a convoqué un comité médical pour recommander quels cancers pourraient être ajoutés, a déclaré M. Ross. Mais il estime que les politiciens devraient avoir le «courage» d’agir, dans une province qui traite les pompiers comme des «citoyens de seconde zone», selon lui. «En fin de compte, les incendies ne brûlent pas différemment à Gatineau qu’à Ottawa.»

En Ontario, 17 types de cancers sont présumés être liés à la lutte contre les incendies. On pense qu’environ 55 pompiers du Québec sont morts du cancer au cours des 12 dernières années, mais le chiffre est probablement plus élevé, croit M. Ross.

Alex Forrest, capitaine du service de prévention des incendies de Winnipeg, souligne que le Manitoba est devenu la première province, en 2002, à inclure cinq cancers présumés. Cette province répertorie maintenant 19 cancers, comme en Nouvelle-Écosse et au Yukon.

M. Forrest, qui est également avocat, estime qu’il y a un manque de connaissances parmi les épidémiologistes sur les niveaux de cancérigènes dangereux, y compris le benzène chimique hautement inflammable, qui est présent dans la plupart des incendies, qu’il s’agisse d’ordures, de cuisine ou de grandes structures. L’équipement de protection des pompiers peut résister à des chaleurs de plus de 1000 degrés Celsius, mais il ne les protège pas des agents cancérigènes, car leurs vêtements doivent «respirer», a expliqué M. Forrest.

Ce n’est pas l’inhalation ou l’ingestion de produits chimiques, mais plutôt l’absorption de particules à travers la peau des pompiers et dans leur circulation sanguine qui est la plus dangereuse, a-t-il déclaré. «Les pompiers, au cours d’une carrière, iront sur des centaines d’incendies. Et vous voyez que la manipulation des cellules commence à se produire après trois à cinq ans, ce qui peut prédire la prévalence du cancer.»