De douloureux souvenirs pour les Cris de Nemaska

NEMASKA — Selon le livre «Going Home» paru à l’automne 2022 et co-écrit par l’ancien chef de Nemaska George Wapachee, le gouvernement fédéral, Hydro-Québec et le gouvernement du Québec ont chassé les Cris de Nemaska de leur territoire ancestral au début des années 1970.

C’est également l’avis du conseil de bande actuel de Nemaska qui affirme dans un communiqué de presse diffusé lors de la publication du livre: «Sous la menace d’inondation de la communauté en raison du projet hydroélectrique de la Rivière Nottaway-Broadback-Rupert (NBR), la fermeture du seul poste de la Compagnie de la Baie d’Hudson et la pression constante du Gouvernement du Canada, les membres de Nemaska furent forcés d’abandonner leurs terres ancestrales».

Mais le projet hydroélectrique de la Rivière Nottaway-Broadback-Rupert a été abandonné et l’inondation de Nemaska n’a jamais eu lieu.

La communauté s’est relocalisée pour «absolument rien», selon George Wapachee.

Le livre de 600 pages, qui contient de multiples témoignages de citoyens de Nemaska, raconte qu’à partir de 1968, les différents gouvernements pressaient les Cris de quitter leur village jusqu’à ce qu’ils s’enfuient dans d’autres communautés en 1970.

Au printemps cette année-là, Thomas Jolly a 15 ans lorsqu’il revient chez lui, après avoir passé une année scolaire dans un pensionnat, qu’il décrit «comme un camp de concentration pour enfants».

Il se souvient d’un avion qui a atterri à Nemaska et de la consigne qu’il a reçue: «on m’a dit que je pouvais apporter un sac avec moi».

La communauté s’est séparée et relocalisée dans un village situé à une centaine de kilomètres de Nemaska et dans un autre à plus de 300 km. Les femmes ont laissé sur place leur machine à coudre, les familles n’ont pu apporter leur canot et des chiens de chasse ont été abandonnés, selon différents témoignages tirés du livre «Going Home».

Dans leurs nouvelles communautés, les gens de Nemaska sont devenus «les plus pauvres des pauvres», et ont vécu dans des «conditions déplorables sans aucun service» en plus d’être «victimes d’abus physiques et verbaux». Ce n’est qu’en 1977 qu’ils se sont reconstruit un nouveau village.

Lors des audiences du Comité d’examen des répercussions sur l’environnement et le milieu social (COMEX) concernant la mine de lithium Whabouchi, en 2015, plusieurs participants ont fait part du traumatisme causé par la relocalisation de la communauté des décennies plus tôt, comme si le projet de mine de lithium rouvrait des blessures qui n’ont jamais été guéries.

En réponse aux accusations des membres de la communauté de Nemaska, le ministre responsable des Relations avec les Premières Nations, Ian Lafrenière, a écrit ceci dans un échange avec La Presse Canadienne: «Aujourd’hui, je ne peux vous répondre sur les intentions du gouvernement qui était en place en 1968. Oui, il y a eu un déménagement, mais je ne peux pas vous dire comment ça s’est passé à l’époque… Concernant des allégations des Cris, quant au contexte du déménagement, mon équipe et moi collaborons très bien avec la communauté de Nemaska.»

De son côté Hydro-Québec, par la voix du porte-parole Francis Labbé, a écrit: «Nous n’avons jamais obligé ou demandé aux Cris de Nemaska de déménager. Il se peut que la perception des événements diffère selon les versions et nous comprenons ce fait. Il importe de rappeler que le site Old Nemaska n’a jamais été inondé. Il y a eu effectivement des discussions sur une éventualité de projet sur les rivières Nottaway-Broadback-Rupert, au début des années 1970, mais ce projet n’a jamais été concrétisé».

Quant au gouvernement fédéral, le ministère Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada a indiqué que «si la Nation crie de Nemaska soumet une revendication au Ministère, les responsables travailleront en collaboration avec la communauté pour mener des recherches historiques sur le sujet et régler les différends liés aux terres».