Balado doublé en France: la PDG de CBC/Radio-Canada fustigée par les parlementaires

OTTAWA — La présidente et directrice générale de CBC/Radio-Canada, Catherine Tait, a passé un mauvais moment mercredi alors que les parlementaires de tous les partis l’ont sermonnée sur la décision de confier l’adaptation française de l’émission balado «Alone: A Love Story» à un studio français pour éviter l’accent québécois.

Le ton a été donné dès les premiers instants. «Ça va pour mon accent? Vous n’avez pas de problème avec mon accent aujourd’hui?», lui a lancé d’entrée de jeu le député conservateur Bernard Généreux, lors de sa comparution devant le comité permanent des langues officielles.

«Entre vous et moi, — je vais me retenir parce que je pourrais dire de très mauvais mots —, sincèrement, c’est très insultant, a-t-il poursuivi. C’est une insulte, littéralement, à la nation québécoise, carrément.»

La grande patronne lui a aussitôt répondu qu’elle est «100 % d’accord» et que c’est pour cela qu’elle a promptement transmis des excuses à la présidente de l’Union des artistes.

Le porte-parole bloquiste en matière de Langues officielles, Mario Beaulieu, a quant à lui estimé que ce qui s’est produit démontre «un mépris du Québec, un mépris de l’accent québécois».

Il a aussi reproché à la CBC de ne refléter que le point de vue de la communauté anglophone sur la loi 21 sur la laïcité de l’État et sur la loi 96 sur le français. Mme Tait a répondu que les journalistes sont régis par des normes et que toute personne qui a des griefs contre les contenus journalistiques peut communiquer avec l’ombudsman puisqu’elle ne s’ingère pas dans cela.

Déplorable, blessant et inacceptable

Durant son témoignage, Mme Tait se confondait là encore en excuses. Non seulement le fait de ne pas avoir fait appel à l’expertise canadienne en matière de doublage est «un incident malheureux (…) une erreur», mais le commentaire pour justifier cela était carrément «déplorable, (…) blessant, (…) inacceptable».

L’adaptation du balado sera faite au pays, a-t-elle rappelé, notant que ce sera Radio-Canada, soit sa propre organisation, qui en sera responsable. La production est déjà en cours et la nouvelle version sera en ligne au début de l’été, a-t-on appris en réponse à une question de la porte-parole néo-démocrate en matière de langues officielles, Niki Ashton.

À ses côtés, le chef de la transformation et vice-président principal, personnes et culture, Marco Dubé, a déclaré que les équipes ayant pris la décision ont été rencontrées et comprennent la portée de leur erreur.

Des mesures ont été mises en place pour que les équipes de CBC qui veulent faire une traduction de ballade vers le français aient l’obligation de s’adresser à des firmes qui sont au Québec, a-t-il assuré. Les échanges entre les équipes de Radio-Canada et de CBC ont aussi été «renforcées».

Le secrétaire parlementaire du ministre des Langues officielles, le libéral Marc Serré, a brièvement traité du balado. Il a simplement fait savoir, après avoir réitéré des propos de la PDG sur le caractère inacceptable de la décision, que «on est tous d’accord avec ça».

Il a plutôt tenté de discuter de comment protéger la qualité du journalisme dans les régions où le français est minoritaire et s’est dit inquiet de l’impact qu’auraient les compressions prônées par le chef conservateur Pierre Poilievre.

Mme Tait lui a suggéré de «mieux financer votre diffuseur public» et a affirmé que son organisation est «un rempart contre la désinformation, contre la polarisation dans notre société».

«De quoi avez-vous peur?»

Mme Tait n’était pas au bout de ses peines alors que les conservateurs sont revenus à la charge lui faisant savoir on ne peut plus clairement être indigné qu’elle ait empêché à deux responsables de venir témoigner devant le comité, alors qu’ils avaient été formellement convoqués.

«De quoi avez-vous peur», lui a lancé à un certain point le député Luc Berthold, lors d’un échange particulièrement tendu au sujet de l’absence du producteur exécutif de CBC Podcasts, Cesil Fernandes, et de la première cheffe de la publicité, du marketing et des relations publiques radio et audio de CBC/Radio-Canada, Émilie Brazeau-Béliveau.

Mme Tait venait alors d’expliquer qu’elle est imputable des erreurs de tous ses employés et que c’est à elle de comparaître devant les élus.

Elle a ensuite affirmé que la Loi sur la radiodiffusion souligne «très clairement» que «nous avons une indépendance non seulement pour le contenu journalistique, mais pour les décisions de programmation».

«Est-ce que vous croyez que la CBC est au-dessus des législateurs et des lois, a renchéri M. Berthold. Le Parlement a le droit de sommer toute personne à venir témoigner devant nous. Et ce pouvoir-là est au-dessus de la loi sur la radiodiffusion.»

Il lui a ensuite expliqué vouloir comprendre «d’où vient ce mépris de l’accent québécois de M. Fernandes. Et lui seul peut venir expliquer pourquoi (…) il a trouvé que c’était une bonne idée. (…) Et ça, vous ne pouvez pas répondre à cette question-là.»

Questionnée par La Presse Canadienne au terme de son témoignage, Mme Tait a confirmé qu’elle maintient sa décision de ne pas permettre à ses deux employés de témoigner.