Loin de chez eux, des concepteurs de mode ukrainiens présentent leurs créations

LONDRES — Pour Ksenia Schnaider et ses collègues créateurs de mode ukrainiens, le spectacle doit continuer malgré la guerre dans leur pays — ou précisément à cause d’elle.

Pendant une grande partie de l’année dernière, Schnaider et son équipe de couturières ont travaillé dur dans leur studio de Kyiv, alors même que les sirènes de raids aériens, les attaques de drones et les coupures de courant prenaient le dessus sur leur vie et rendaient la production presque impossible.

Schnaider, âgée de 39 ans, a fui l’Ukraine avec son mari et sa jeune fille lorsque la Russie a envahi son pays en 2022. Ils ont trouvé un foyer temporaire auprès d’une famille britannique dans un coin paisible du sud de l’Angleterre. Mais elle n’a pas abandonné l’entreprise de mode qu’elle a fondée il y a 12 ans, partageant son temps entre le Royaume-Uni et Kyiv, où tous ses vêtements sont encore confectionnés contre toute attente.

«Mon équipe a besoin de ce sentiment de normalité: ils m’ont dit qu’ils voulaient aller travailler et avoir quelque chose à faire, se soutenir mutuellement, plutôt que de rester cachés à la maison», a-t-elle indiqué. 

«Nous voulons montrer au monde que nous n’abandonnons pas.»

Mardi, elle et deux autres créateurs de mode ukrainiens ont présenté leurs dernières créations lors d’un défilé commun à la Semaine de la mode de Londres, qui accueille la Semaine de la mode ukrainienne alors que la guerre se prolonge et que l’industrie de la mode ukrainienne n’a nulle part où s’établir.

Lors de la finale, ils se sont inclinés en portant un drapeau ukrainien signé par trois unités militaires différentes. Certains de ces soldats sont morts depuis qu’ils ont signé les drapeaux, a-t-elle ajouté.

C’est un moment poignant que la créatrice attendait et redoutait à la fois, car il est tellement bouleversant sur le plan émotionnel.

«C’est très dur (…), mais bien sûr, il est important de montrer notre unité. Nous ne sommes plus des concurrents, nous sommes tous unis pour travailler à notre victoire.»

La création continue

Depuis le début de la guerre, plus de 60 marques de mode ukrainiennes ont présenté leurs produits dans des villes comme Londres et New York pour «créer, contrairement à la destruction provoquée par l’agression russe», selon Iryna Danylevska, fondatrice et directrice de Semaine de la mode ukrainienne.

«L’Ukraine continue de vivre. L’Ukraine respire, se bat et crée», peut-on lire sur une note inscrite sur chaque siège du défilé de mode de mardi.

«Notre défilé de la Semaine de la mode de Londres est une autre occasion de parler au monde de la valeur de la liberté et du prix à payer pour cela.»

Schnaider, qui a habillé des célébrités comme Dua Lipa, se demande comment ils peuvent continuer. «Mais pour moi, il est important de continuer à produire en Ukraine, de soutenir sa population, son économie.»

La passerelle peut sembler à des millions de kilomètres du champ de bataille, mais la mode n’est qu’une des nombreuses facettes d’un immense effort national visant à faire parler le monde de l’Ukraine, à collecter des fonds et à sensibiliser l’opinion à ce que vit sa population.

United24, la plateforme officielle de collecte de fonds du président Volodymyr Zelensky, était à l’origine du défilé de mode du créateur Ivan Frolov au chic hôtel Bulgari de Londres samedi.

Une plateforme puissante

Frolov, qui est devenu célèbre après que Beyoncé a choisi ses créations pour sa récente tournée Renaissance et son concert à Dubaï, connaît le pouvoir d’un moment de mode de célébrité et comment cela peut aider la cause de l’Ukraine.

«Pour moi, la mode ne concerne pas seulement les vêtements, c’est comme une plateforme médiatique très puissante qui peut parfois diffuser des messages mieux que n’importe quelle autre industrie», a expliqué le créateur de 29 ans.

Pour son dernier défilé, des images en noir et blanc de chanteurs ukrainiens d’antan et une vidéo historique de Kyiv en fleurs en été ont servi de toile de fond à une collection de robes légères, de somptueuses robes en soie et en dentelle et de corsets incrustés de cristaux.

Frolov reconnaît l’apparente incongruité entre sa vision romantique et la guerre qui ravage son pays.

«C’est un grand défi de continuer à faire mon travail au moment même où nos soldats meurent chaque jour sur la ligne de front», a-t-il soutenu.

«Nous pleurons tous les jours et nous continuons à coudre des robes du soir pour les célébrités et pour nos clients. Bien sûr, nous attendons la victoire de l’Ukraine, lorsque nous pourrons porter ces robes, a-t-il ajouté. Mais pour le moment, c’est la seule façon pour nous de montrer à quel point nous sommes forts. L’Ukraine est un pays jeune et beau, avec de grands talents.»

Pour rappeler à quel point les conditions de production de ses vêtements ont été difficiles, Schnaider a apposé des étiquettes spéciales sur chaque pièce finie. Ses clients peuvent scanner l’étiquette avec leur téléphone portable pour entendre le son d’une sirène de raid aérien.

Des conditions difficiles

Lorsque la guerre a éclaté, Schnaider disposait d’une équipe d’environ 50 personnes. Il en reste environ 20, certains travaillant dans son magasin central de Kyiv, d’autres emballant, produisant et expédiant ses vêtements aux clients. Lorsque les sirènes retentissent, son équipe dépose ses outils et court se mettre à l’abri. Le travail a déjà été interrompu pendant des heures, voire toute la journée.

L’hiver dernier a été particulièrement dur, lorsque l’électricité a été réduite à seulement deux heures par jour, a-t-elle relaté. Elle et ses collègues essayaient d’entasser tout le travail et les tâches quotidiennes pendant ces heures précieuses, avant de rentrer chez eux «s’asseoir dans le froid et dans l’obscurité totale».

«C’était très déprimant, mais nous avons continué et nous plaisantions en disant que c’était la meilleure gestion du temps», a-t-elle souligné.

D’autres travailleurs et petites entreprises de Kyiv sont aussi déterminés qu’elle à maintenir une situation normale, a-t-elle déclaré.

«Dans les cafés, les matins qui suivaient les attaques de drones, tout le monde disait: “Buvons plus de café” et injuriait la Russie», a-t-elle raconté.

«Ils disent tous: “Faisons-le, retournons au travail.”»