Internet à deux vitesses: l’impact sur les entreprises du Québec

TECHNOLOGIE. Les entreprises québécoises pas toutes égales sur Internet.

Par Julien Brault, journaliste de Les Affaires

Pour les consommateurs, une vidéo saccadée ou une conversation sur Skype inaudible peut causer une frustration aiguë. Pour les entreprises, toutefois, le coût d’une connexion lente est synonyme de perte en productivité. Or, au Québec, l’accessibilité à Internet varie radicalement d’une région, voire d’une rue à l’autre. Et plusieurs PME en font les frais.

 

« La lenteur d’Internet, c’est un très gros problème. Ça affecte notre productivité dans le sens qu’on n’est pas capable de se développer autant qu’on aimerait le faire », lance André-Luc Lafortune, directeur technique de Compo Recycle, une entreprise de Chertsey qui fait dans la collecte de déchets. L’entreprise exploite une flotte de quelque 30 camions munis de GPS qui indiquent leur emplacement en temps réel. Or, avec une connexion d’à peine 6 Mbit/s, le siège social de Compo Recycle doit composer avec des délais dans la mise à jour des données de géolocalisation de ses camions.

 

Pour Compo Recycle, les problèmes découlant de la lenteur de sa connexion Internet ne finissent pas là. Cette dernière étant trop lente pour permettre l’utilisation d’un réseau privé virtuel (VPN), la comptabilité du garage de Compo Recycle, situé à 30 minutes de voiture de son siège social, doit être effectuée à part : « On ne peut pas faire la comptabilité sur notre système principal à cause d’Internet, alors on est obligé de la faire en double », déplore André-Luc Lafortune.

 

Le cas de Compo Recycle illustre bien les limites de l’infrastructure Internet en région, où l’Internet haute vitesse, soit d’au moins 5 Mbit/s, se rend, mais où il est souvent difficile d’obtenir de meilleurs débits. En effet, 95,3 % des entreprises québécoises de 5 employés ou plus qui sont branchées disposent d’une connexion haute vitesse, selon l’Institut de la statistique du Québec.

En 2015, toutefois, une connexion de 5 Mbit/s ne suffit plus pour une PME aux processus d’affaires modernes. Ce sont les connexions à très haut débit, oscillant entre 100 Mbit/s et 1 Gbit/s, qui constituent la nouvelle norme d’excellence en entreprise. «Si on veut visionner de la vidéo, si on veut faire de la télématique [géolocalisation via des GPS connectés] ou télécharger des documents, 5 Mbit/s, ça va permettre de faire un des trois, mais pas les trois en même temps, soutient Gaston Dufour, directeur général associé de la Fédération des coopératives de câblodistribution du Québec (FCCQ). Une vitesse de 100 Mbit/s, c’est le minimum acceptable pour une entreprise aujourd’hui. »

Un problème qui passe sous l’écran radar

 

Les connexions de 100 Mbit/s et plus sont loin d’être offertes partout au Québec. Elles sont rarement offertes en dehors de principaux centres urbains et, même à Montréal, ce n’est pas tous les secteurs de la métropole qui y ont accès. Dans les faits, chaque région, voire chaque code postal de la province a ses enjeux et les vitesses maximales offertes varient beaucoup d’un endroit à l’autre. Alors que certaines zones n’ont pas accès à l’Internet haute vitesse, d’autres sont limitées à des connexions hautes vitesses relativement lentes de 5, 10 ou 15 Mbit/s.

 

Si plusieurs PME sont affectées par la lenteur de leur connexion Internet, c’est un problème qui passe sous l’écran radar d’un grand nombre d’entre elles. En effet, les entreprises situées dans des zones où la vitesse d’Internet est limitée semblent moins nombreuses à adopter les logiciels en ligne, entre autres technologies, et de ce fait, ne ressentent pas toutes les limitations découlant de leur connexion Internet.

 

C’est notamment le cas de Fourrures Grenier, un fabricant de bottes de fourrures dont la connexion haute vitesse est d’à peine 5 Mbit/s. Établie à Barraute, en Abitibi, l’entreprise utilise essentiellement sa connexion Internet pour envoyer des courriels et mettre son site Web transactionnel à jour : « Ça ralentit notre travail, mais étant donné qu’on ne connaît pas autre chose, on est habitué de faire avec, reconnaît Jeanne Grenier, directrice générale de la société. Ce n’est pas comme si on arrivait de Montréal et qu’on constatait la différence. »

 

Là où la haute vitesse ne se rend pas

 

L’immense majorité des foyers québécois ont accès à l’Internet haute vitesse. Cependant, c’est une faible consolation pour les quelque 3,3 % d’entre eux qui ont la malchance d’être situés dans des zones non desservies, selon les données d’Industrie Canada. Si ces zones sont plus nombreuses dans le Nord-du-Québec et en Gaspésie, on en trouve aussi à proximité de centres urbains, en règle générale là où la densité de population est faible. FloreSsens, une pépinière située à Saint-Raymond, dans la région de la Capitale Nationale, fait partie des entreprises qui, encore 2015, n’ont pas accès à l’Internet haute vitesse.

 

« Tout ce qui est informatique en nuages, il faut oublier ça et on ne peut même pas transmettre des données électroniquement à l’Agence de revenu du Canada et à Revenu Québec», explique Johane Boucher-Champagne, co-propriétaire de FloreSsens avec son mari. De plus, sa connexion Internet l’empêche d’utiliser Skype ou tout autre service de vidéoconférence, de même que de se doter d’un système moderne de point de vente.

 

Située en bordure de la ville de Saint-Raymond, FloreSsens est située à un demi-kilomètre de la prochaine zone desservie par les fournisseurs de services Internet. Aussi, lorsqu’elle a ouvert boutique, seules deux options s’offraient à elle. L’Internet par satellite ou via le réseau cellulaire. En raison du manque de fiabilité de la première option, avec laquelle les interruptions de service étaient fréquentes, Johane Boucher-Champagne a opté pour la deuxième, qui lui permet de bénéficier d’une connexion d’à peine 1,5 Mbit/s.

 

Dans les circonstances, elle a opté pour un site Internet rudimentaire, de manière à pouvoir le mettre à jour de chez elle. Malgré tout, la démarche relève du tour de force : « Mettre notre site Web à jour avec la vitesse qu’on a, c’est très pénible », dénonce Johane Boucher-Champagne. Il faut dire que la femme d’affaires sait ce qu’elle manque. Ancienne pdg d’Anapharm, un important laboratoire d’essais cliniques de Québec (rebaptisé inVentiv Health clinique), rien ne l’avait préparée à retourner à l’âge de pierre des télécommunications.