Les plaintes de harcèlement explosent de 37% au Québec

Dix ans après l’adoption de dispositions législatives qui protègent les salariés contre le harcèlement psychologique au travail, pas moins de 23 880 plaintes ont été déposées à la Commission des normes du travail (CNT), dont 726 en Estrie. Depuis cinq ans, le nombre de plaintes a fait un bond de 37%, révèlent des données obtenues par TC Media.

Dans la région estrienne, 83 % des situations de harcèlement psychologique alléguées étaient à caractère répétitif. Sur les 726 plaintes reçues, 62 % d’entre elles ont été déposées par des femmes. Pratiquement tous les dossiers (96 %) acheminés à la Commission ont été fermés.

S’adressant aux travailleurs non syndiqués, le service des plaintes de la CNT a enregistré 10 095 plaintes, entre 2004 à 2009, et 13 785 au cours des cinq années suivantes.

Selon Johanne Tellier, directrice du Centre juridique de Montréal, la CNT ne détient pas d’explication scientifique pour justifier le phénomène. Toutefois, elle parie que toute l’information, les campagnes publicitaires multiplateformes ainsi que les rencontres de sensibilisation menées au fil des ans ont porté fruit.

Peu de disparités régionales

Les données compilées pour chaque région de la province indiquent peu de variations significatives. Bien sûr, le volume de plaintes est influencé par la population du territoire, mais le pourcentage venant de femmes, par exemple, est similaire. Le nombre de plaignantes s’élève à 62% en Montérégie.

Comparativement aux régions, les hommes qui habitent les grands centres sont plus nombreux à formuler des plaintes. À Montréal et dans la Capitale-Nationale, ils représentent respectivement 43 % et 41 %.

En outre, 23 164 dossiers, soit 97 % des plaintes soumises au Québec depuis 10 ans, ont été «fermés» au terme d’une entente ou d’un désistement. Dans la région, la proportion est de 96%. Résultat : seulement 716 dossiers se sont retrouvés devant la Commission des relations de travail.

Le directeur des affaires juridiques à la CNT, Robert L. Rivest, est satisfait de voir autant des plaintes se régler en médiation, sans recours aux tribunaux. «La moyenne au bâton est très forte», fait-t-il valoir.

Zone de harcèlement

Pour qu’une plainte soit retenue en matière de «harcèlement psychologique», plusieurs éléments doivent être présents. Il faut d’abord une conduite vexatoire se manifestant par des comportements, des paroles, des actes ou des gestes répétés, qui sont hostiles ou non désirés, laquelle porte atteinte à la dignité ou à l’intégrité psychologique ou physique du salarié et qui entraîne, pour celui-ci, un milieu de travail néfaste. Une plainte peut également être retenue si, à défaut de comporter un caractère répétitif, elle porte sur un seul acte grave.

Au terme des cinq premières années des dispositions de la Loi, les cas de type répétitif correspondaient à 95 % des plaintes. Après 10 ans, celles-ci ont chuté à 82 %.

Le choc est encaissé

Aux dires de plusieurs intervenants interrogés, les dispositions de la Loi seraient aujourd’hui entrées dans les mœurs, après en avoir pris plus d’un par surprise, il y a 10 ans.

«Il y a eu un choc», se rappelle le président directeur de l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés du Québec, Florent Francoeur. «On a fait beaucoup de formation pour mieux comprendre ce que voulait dire la fameuse loi», poursuit-il.

Au départ, des employeurs craignaient par exemple être brimés dans leur droit de gérance ou être blâmés pour des situations conflictuelles au travail. Il s’est avéré clair, par la suite, que de tels cas ne constituaient pas du harcèlement psychologique au travail, de relater M. Francoeur, spécifiant qu’il régnait de moins en moins de confusion.

L’impact humain et financier

Si des employeurs questionnent toujours les investissements qu’ils ont dû déployer pour se conformer à la Loi, des gains sont observables. «Ça amène une conscientisation de tout le monde, c’est une bonne chose. Quand on regarde l’énergie qu’on a mise là-dessus versus les résultats, c’était vraiment prendre un bâton de baseball pour frapper une mouche. En même temps, c’est extrêmement dangereux de dire ça parce que quelqu’un qui a subi du harcèlement pourrait dire que ce n’était pas une mouche. Dans certains cas, c’est des drames. Il y a des vies brisées derrière ça. Il ne faut pas le nier», laisse-t-il tomber.

Selon Dominique Jarvis, directrice du Bureau d’intervention et de prévention en matière de harcèlement de l’UQAM, il est avant tout question de coûts humains, puisque les cas de harcèlement ne touchent pas seulement la personne visée, mais tout son entourage de travail. «Les griefs et les enquêtes sont plus coûteux que toutes les situations qu’on essaie de désamorcer à la satisfaction des personnes, le plus rapidement possible», analyse-t-elle.