À saveur de gestion de l’offre

Quelques semaines sont passées depuis la victoire du nouveau chef du Parti Conservateur et, en même temps, de la gestion de l’offre. Je ne suis pas réputé pour mon "tact", mais plutôt pour mon approche directe, cartésienne et mathématique. Je ne m’étais jamais impliqué vraiment dans la politique.

Toutefois, la politique est venue s’impliquer fortement (lors de la dernière course à la chefferie) dans ce à quoi je crois soit, la répartition de la richesse au travers l’industrie laitière. Ce qui maintient l’économie des régions fortes au lieu d’augmenter le bénéfice de 3 ou 4 multinationales et payer des bonus à leur chef d’entreprise ou payer des dividendes aux actionnaires.

Certains pensent que les fermes du Québec et du Canada sont trop petites et pas assez efficaces. Selon le Département de l’agriculture des États-Unis (USDA) qui publiait une étude en 20161, la taille des fermes n’a pas vraiment d’impact sur l’efficacité ou le coût de production. En fait, l’écart se crée lorsqu’on atteint 1000 vaches. À 1000 vaches, il y a une économie de 3$/100 lb de lait ou  6,81$ l’hectolitre, soit environ 10% du prix que les fermes du Canada reçoivent pour leur lait. Au Québec, il y a 5300 fermes laitières réparties à la grandeur du territoire. Une ferme de la Gaspésie ayant 60-70 vaches, par la vente de son lait vers les grands centres, obtient 500 000$ de revenu. Ce revenu est dépensé dans les commerces de son coin pour les intrants, les intervenants, les équipements, etc. Soyez sans crainte, l’argent est tout dépensé ou investi. C’est pareil pour toutes les régions éloignées du Québec. Avec nos 5300 fermes, c’est donc 2.6 milliard $ par an qui part des villes pour aller sur les fermes et qui est dépensé dans les communautés rurales. Si on reprend le principe d’atteindre 1000 vaches et plus pour sauver 10% sur le coût de production et transformer les fermes familiales en usine, nous aurions donc besoin d’environ 300 fermes de 1000 vaches au Québec. Pour être encore plus efficace et économiser sur les coûts de transport, pourquoi ne pas les implanter autour des grands centres comme Montréal et Québec?

L’économie d’échèle des fermes de 1000 vaches vient souvent du fait qu’elles sautent des intermédiaires. Elles ne commandent plus localement. Elles s’approvisionnent directement des États-Unis, d’Europe ou d’un grossiste au Canada. Elles embauchent aussi des travailleurs à rabais. À qui profite ce bas de coût de production? Les usines paient le lait moins cher mais, est-ce que le prix au consommateur reflète ce bas prix à la ferme?

Quand on compare le prix du lait au supermarché au Canada, aux États-Unis et à travers le monde, on ne peut pas voir de lien direct entre le prix payé au producteur et le prix du lait sur les tablettes. Le prix sur les tablettes est, comme beaucoup d’autres produits, déterminé par le pouvoir d’achat et la capacité de payer du consommateur. Il peut aussi être utilisé comme produit d’appel à rabais comme aux États-Unis ce qui ne représente pas le prix réel. Alors le prix sur les tablettes du lait ne baissera pas, même si on réduisait notre prix de moitié. La transformation, la distribution et la vente au détail empocheraient les profits. Ce que la gestion de l’offre permet, c’est de rééquilibrer la part de profit des intervenants pour ne pas laisser le producteur avec des miettes pour son lait et lui permettre d’en vivre puis, de transférer son entreprise à la relève.

Certains envient le système américain des grosses fermes! «Think big sti!» Pourtant, dans le dernier mois, je suis allé à deux encans de dispersion complète dans l’état du Vermont. Je n’y ai vu aucun jeune de moins de 30 ans, ni même un fils de producteur. Leur modèle de production laitière n’est guère encourageant pour les jeunes qui désirent prendre la relève. Une vie de misère à espérer que le voisin fasse faillite avant toi pour le racheter. Les deux fermes démantelées présentaient le double de densité de population acceptable pour le bien-être des vaches, sans fosse en béton. Les étables de 250 à 300 têtes étaient sombres et en décomposition.

Quand je vois ça, je me dis que nous avons le meilleur système au monde, tant pour les producteurs, la répartition de la richesse dans toute la filière, pour le dynamisme de l’économie et l’occupation du territoire. Le consommateur est aussi gagnant en payant le même prix qu’ailleurs pour un produit de grande qualité et disponible partout.

Certains économistes dont ceux de l’Institut économique de Montréal (IEDM) militent contre la gestion de l’offre et disent que nous restreignons l’offre pour maintenir les prix élevés.

Pour quels intérêts travaillent-ils? Les corporations ou les citoyens? Gérer l’offre ne restreint pas l’offre de produit pour les citoyens du Canada. Nous mesurons la demande tous les mois et nous la produisons. Nous avons des réserves de beurre. L’attribution du lait pour produire le beurre passe en dernier, donc tous les autres produits laitiers vont être produits avant que le beurre soit produit. La variation des stocks de beurre nous indique la directive à donner aux producteurs sur le volume de lait à produire.

Les usines reçoivent tout le lait voulu pour produire des denrées pour les consommateurs à condition qu’elles vendent leur produit et qu’elles prennent le lait de façon régulière. Tant la fin de semaine qu’à Noël.

Le système ne limite pas la croissance d’une usine pour créer ou prendre des parts de marché au Canada.

Certains pseudo-économistes disent que nous diminuons l’offre pour maintenir les prix au consommateur. Ce qui est faux pour les raisons invoquées plus haut. Nous limitons l’offre pour éviter de faire du volume dans des produits non rentables pour le producteur et non utiles pour les citoyens. Jeter du lait comme aux États-Unis parce qu’il n’y a pas d’usine qui peut le prendre n’est profitable pour personne. Souvenons-nous que le lait ne se garde pas plus que 2 à 4 jours sans être pasteurisé. Les surplus de protéines séchées et données à l’alimentation animale ne profitent à personne non plus sauf, peut-être, aux transformateurs.

On nous attaque souvent en disant que le prix à la ferme au Canada est plus cher que dans le reste du monde. C’est vrai. Le problème des autres pays est qu’ils n’ont pas su mettre en commun les ventes de lait de tous les produits vendus et que ce système soit géré par les producteurs et non par les transformateurs. Dans le reste du monde, le prix doit être assez bas pour que les transformateurs fassent du profit sur le produit le moins payant à transformer et à vendre. Ils font donc d’énormes marges de profit dans toutes les autres classes de lait qui sont très lucratives à produire et à vendre au consommateur (lait à boire, yogourt, fromage, etc.) Ici, chaque classe de lait est vendue à un prix différent au transformateur. Les classes plus payantes sont vendues plus cher, les classes moins payantes sont vendues moins cher. À la fin, les ventes sont mises en commun et tous les producteurs reçoivent le même prix.

Les pays qui ont retiré la gestion de l’offre ont vu un impact négatif dans la production laitière. Gardons en tête que l’une des caractéristique propre au Canada est d’être un très grand pays à faible densité de population; surtout en région. La gestion de l’offre permet la création d’emplois et des investissements en région.

La gestion de l’offre permet de rééquilibrer la part de profit de chaque intermédiaire dans la filière et, ce, sans subvention de l’État comme il y en a dans tous les autres pays qui évoluent dans des conditions similaires aux nôtres. Sans ces subventions les producteurs n’arrivent tout simplement pas. Les transformateurs cherchent donc à faire payer leur matière première par les gouvernements au lieu de la payer eux-mêmes!

Depuis la conclusion de la course à la chefferie du PCC, plusieurs soirs par semaine, je mange mon dessert "à la gestion de l’offre" en pensant à Bernier et au think tank de l’IEDM.

Guillaume Nadeau,

Producteur laitier de Coaticook