L’industrie de la mort au Québec en pleine mutation

DOSSIER TC MEDIA. Alors que le nombre de décès dépassera d’ici vingt ans le nombre de naissances au Québec, l’industrie de la mort se prépare à accueillir une clientèle croissante. Mais pour l’instant, les salons funéraires comme à Coaticook sont surtout forcés de revoir leurs services afin de s’adapter aux changements de rites, comme le «fast-food funéraire» où les familles tentent par tous les moyens d’accélérer leur deuil et passer à autre chose.

Chaque année et depuis cinq ans, le nombre de décès fluctue autour de 60 000, mais «il augmentera de façon importante au cours des prochaines décennies […] conséquence de l’arrivée des générations du baby-boom aux âges de forte mortalité», a écrit l’Institut de la statistique du Québec en septembre dernier dans son récent rapport Perspectives démographiques du Québec et des régions, 2011-2060.

Selon les tendances des démographes, le Québec passera le cap symbolique des 100 000 décès en 2043. Dans plusieurs régions du Québec, le nombre de décès dépassera le nombre de naissance dès 2020, tandis qu’en Gaspésie, au Bas-Saint-Laurent et en Mauricie c’est déjà chose faite. Pour l’Estrie, c’est en 2027 que le point de bascule devrait être atteint.

L’espérance de vie joue des tours

Dans l’industrie funéraire, on ne s’emballe pas trop face aux projections de décès des prochaines décennies. La Fédération des coopératives funéraires du Québec, qui regroupe 23 coopératives funéraires dans la province, reste prudente quand on évoque l’avenir florissant pour les entreprises liées à la mort. «Le boom de clientèle, ça se produit et ça ne se produit pas», explique le directeur général de la Fédération, Alain Leclerc. Selon lui, le vieillissement de la population commence à se faire sentir, mais pas de façon significative, notamment en raison de l’espérance de vie qui augmente.

Un problème de relève

Pour M. Leclerc, les véritables défis qui touchent les entreprises mortuaires sont liés à la mutation que connait leur industrie. Elle se constate tant chez les acteurs du milieu que dans les rites funéraires. «Un des gros phénomènes qu’on observera dans les prochaines années, c’est la consolidation des entreprises», dit-il. En ce moment au Québec, on compte près de 300 entreprises funéraires, et bon nombre d’entre elles sont de petites compagnies familiales. «Je compare la situation au problème de relève dans les fermes familiales», soulève directeur général de la Fédération. À l’instar de sa clientèle, le domaine mortuaire connait un vieillissement chez les propriétaires de maisons funéraires.

Faisant partie de la troisième génération de propriétaire de la Résidence funéraire Charron & fils à Coaticook, Stéphane Charron figure parmi les privilégiés de l’industrie puisque son fils souhaite poursuivre la tradition familiale. «Ce n’est pas n’importe qui qui peut faire ce métier et il faut être enfant de thanatologue pour vraiment savoir dans quoi on s’embarque. On travaille sept jours sur sept, 24 h sur 24. Pour nous, il n’y a pas de Noël, pas de Pâques, ni de samedi et de dimanche, car chaque journée en est potentiellement une de travail.»

De plus, la nouvelle génération qui souhaiterait poursuivre les activités de l’entreprise familiale ne peut assumer le financement nécessaire à l’acquisition de l’entreprise. Pour ces raisons, bon nombre de maisons funéraires sont achetées par des compagnies américaines qui leur font des offres alléchantes. À Magog, un nouveau complexe funéraire, avec à sa tête Jacques Demers, Patrice Lamoureux et Stéphane Charron, tentera de prendre des parts de marché à la Résidence funéraire Ledoux, seule en place depuis plusieurs années.

L’ère de tous les possibles

Du côté de la clientèle, l’arrivée des baby-boomers dans le marché funéraire accentuera les changements déjà observés dans les rites mortuaires. Lorsque la religion faisait encore partie intégrante des pratiques funèbres, le modèle de base du déroulement d’une cérémonie funèbre se résumait ainsi : une, deux, voire trois journées d’exposition du corps au salon funéraire, une messe funérailles à l’église suivie de l’inhumation au cimetière. Aujourd’hui, les demandes sont multiples et les cérémonies religieuses sont nettement moins nombreuses. Selon l’Association des évêques catholiques du Québec, 23 000 funérailles (religieuses) ont été célébrées sur un total de 60 000 décès en 2013. L’année précédente, 3 000 funérailles de moins ont été célébrées pour un même nombre de morts.

Comme un peu partout au Québec, la personnalisation des funérailles connaît une hausse de popularité depuis les dernières années. «Les gens veulent apporter une touche personnelle à la cérémonie pour la rendre encore plus significative, explique le directeur général du Centre coopératif funéraire de Coaticook, Michel Belzil. Par exemple, pour honorer la mémoire d’un grand «fan» du groupe Kiss, nous avions accroché quelques affiches dans la salle. Il y aussi ce monsieur qui avait toujours des «peppermints» à la maison. Pour lui faire un clin d’œil, nous avions mis un petit pot avec des bonbons près de son cercueil dans lequel les gens pouvaient se servir, comme chez lui. Ce sont des petits détails que les familles apprécient énormément. Notre industrie a le devoir de toujours offrir la meilleure qualité de services aux familles dans le deuil et pour ce faire, il faut s’adapter aux changements qui viennent.»

La crémation plus populaire que jamais

Aujourd’hui, au Québec, une personne sur deux choisira de finir dans une urne plutôt qu’un cercueil. Selon des données avancées par la Fédération des corporations funéraires, dans les grands centres urbains, c’est jusqu’à 80 % de la clientèle qui préfère la crémation. Pourquoi? Une question de mœurs, répond son DG. «Les mœurs évoluent. Vous savez que l’embaumement des corps est une pratique typiquement nord-américaine. Les Européens qui arrivent ici et qui assistent pour la première fois à un décès où le corps est embaumé sont scandalisés.»

Trop pressés pour être en deuil

Les raisons qui motivent les familles à choisir la crémation peuvent être multiples, mais Nathalie Samson (dg Corporation des thanatologues du Québec) remarque que cette option est souvent perçue comme étant la plus rapide. Un phénomène qu’on a nommé fast-food funéraire. «Les gens croient à tort que lorsque survient le décès d’une personne aimée, s’ils font ça vite, ça va faire moins mal. Malheureusement, ça ne fonctionne pas comme ça.» Les rituels funéraires sont nécessaires au processus de deuil, rappelle Mme Samson.

De son côté, Stéphane Charron croit qu’il s’agit d’une tendance réversible et que la grande majorité des familles qui optent pour la voie rapide, une première fois, ne souhaitent pas répéter l’expérience. «Le fast-food funéraire, on le voit encore à l’occasion. Les familles le font souvent pour respecter la demande de la personne décédée. Par contre, c’est vraiment important de vivre cette étape et non pas de la bâcler, car tôt ou tard, il y a quelqu’un qui va frapper le mur à pleine face. Personnellement, je crois que le fast-food funéraire est une mode qui va disparaître au fil des ans, contrairement à la crémation qui était aussi considérée comme une mode il y a 20 ans. Pourtant, cette pratique est encore très populaire aujourd’hui pour plus de 50 % de notre clientèle», conclut M. Charron.

Quelle que soit la forme que prendront les obsèques des défunts ces prochaines années, Nathalie Samson rappelle l’essentiel pour traverser un deuil: il faut prendre le temps de se réunir, accepter qu’un deuil fait mal car «c’est un passage obligé de la vie».

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